Ipoustéguy vu par…
« Le plus grand sculpteur français vivant ! » John Updike, 1989
John Updike (romancier américain), André Glucksmann (philosophe), Ted Gott (conservateur NGV de Melbourne), Despatin et Gobeli (photographes), Jean Daive (écrivain) Françoise Monnin (historienne d’art), Dominique de Villepin (homme politique), Marin Karmitz (producteur et distributeur de films de cinéma), Jacques Kébadian (réalisateur)… ces figures et bien d’autres ont croisé de près ou de loin la route d’Ipoustéguy. Autant de regards éclectiques sur l’œuvre et sur l’homme.
John Updike, « La Pulsion vitale »
Jean Ipoustéguy, né à Dun-sur-Meuse en 1920, est peut-être le plus important sculpteur français vivant, mais il est peu connu aux États-Unis. Deux parmi ses grandes statues en bronze, David et Goliath et Homme passant la porte sont visibles en permanence au milieu des sculptures du jardin du musée Hirshhorn à Washington, et trois œuvres en marbre firent partie de l’exposition du cinquantième anniversaire du musée Guggenheim ; cependant, les sonorités éclatantes de son patronyme ne résonnent pas au-delà des milieux artistiques professionnels et sa seule exposition individuelle aux États-Unis eut lieu en 1964, à la galerie Albert Loeb.
Alain Bosquet, « Ipoustéguy le grand : rupture, fissures, fêlures »
N’en déplaise aux soudeurs de ferraille, aux mouleurs de silhouettes en plâtre, aux tisseurs d’étoffes, aux pyromanes de la matière, aux écumeurs de poubelles, aux machinistes qui actionnent des mécaniques à soupirer, à cracher ou à gémir, aux ingénieurs de vrais et faux sémaphores, aux collectionneurs de poutres et aux chiffonniers, il n’existe en France qu’un seul grand sculpteur depuis un quart de siècle : Jean Ipoustéguy.
Pierre Gaudibert, « Plan séquence »
En cette année 1978, celle des cinquante-huit ans d'Ipoustéguy et de son importante rétrospective (provisoire) à Paris, quelle est la personnalité humaine et artistique intimement liée ? Aidons-nous de toutes les approches possibles, écrites ou orales, des échanges avec lui depuis les années 60, intermittents mais décisifs.Cette personnalité très forte, bien structurée malgré l'angoisse et la fragilité émotive, est un mélange de passion contenue et de comportement réservé, un cocktail de dureté farouche et de tendresse généreuse, une symphonie de précision, d'humour et de simplicité. Il se sait timide, mais il est comme il est, peu soucieux de plaire ou de déplaire, gardant son franc-parler et sa franche-conduite, maîtrisant son retrait comme ses « sorties». Il se retranche pour préserver son for(t) intérieur, son « entité inviolable», se protéger; il masque ainsi son noyau d'orgueil secret (« l'orgueilleux sang rouge des modestes »). Il dit de lui: « Je veux bien être discret, je ne...
Françoise Monnin, « Ipoustéguy Monumental »
« C’est du lourd » : telle est souvent l’expression familière qui surgit, à l’évocation d’Ipoustéguy. De fait, les monuments que ce maître a essaimés des États-Unis jusqu’au Japon, en Allemagne et en France notamment, frappent d’abord par l’ambition de leurs dimensions – 20 mètres parfois – et par la puissance des figures mises en scène.
Flavio Arensi, « Le Présent d’Ipoustéguy »
La difficulté, aujourd’hui, de présenter Ipoustéguy (1920-2006) pourrait avoir un rapport avec la crise même de la sculpture, si l’on retient du mot «crise» sa valeur étymologique de pli décisif, et si l’on entend comme sculpture la pratique consistant à réaliser un objet pour le situer dans un environnement. L’obstacle dérive de la complication de définir certains mots et de préciser l’écart entre leur sens passé et celui que chacun d’eux possède actuellement: rien n’est plus trompeur que l’usage de mots identiques qui recouvrent des notions dissemblables; surtout depuis que les installations sculpturales remplacent de plus en plus la simple occupation de l’espace par une participation active, déplaçant l’intérêt de l’objet vers le lieu qu’il occupe. La tentative de Kurt Schwitters (1887-1948) d’agréger la matière à l’espace dans le Merzbau à Hanovre à partir des années vingt jusque vers la fin de la décennie suivante, témoigne des premières urgences conceptuelles concernant une prise d’espace progressive du produit sculptural, qu’Ipoustéguy lui aussi considère, peut-être en termes plus architecturaux, mais sans jamais vraiment abandonner la pré- supposition de la sculpture comme métier d’«artisan», dans sa signification authentique de création d’un ouvrage d’art.
Raymond Masson
Jean Ipoustéguy est mort mercredi le 8 février 2006, âgé de 86 ans et, avec lui, tout un pan de l’effort farouchement solitaire qui fut la vie d’un sculpteur. Je l’ai bien connu, et je veux lui rendre hommage. C’est un désir personnel, lui il n’en a pas besoin. Sa carrière était marquée par des années de grande célébrité et il avait reçu le Grand Prix National pour les Arts plastiques.
Évelyne Artaud
Permettez-moi de suivre cette ligne qui, devenant en sculpture un faisceau de lignes, développe une pluralité de points de vue qui nous met à la fois en mouvement, mais bien sur également en question, d’ou l’enroulement du point d’interrogation. L’effet de l’enroulement de cette ligne dans l’espace est celle d’un déploiement d’énergie : cette conception du volume, de la sculpture comme ouverture sur une multiplicité de points de vue me ramène à votre formulation : « Jamais la ligne droite, toujours au bord de la ligne droite. » Est-ce à comprendre comme une ouverture toujours possible sur le virtuel, sur ce qui n’existe pas encore mais ne doit pas être renvoyé au néant car devant rester un toujours possible ? Serait-ce la le secret de votre étonnante énergie, de votre perpétuelle invention, de votre jeunesse ?
André Glucksmann
Juché, observateur, vous contemplez le temps, opération d’un dos, en son effet incliné de blé que le vent penche.
(lpoustéguy parle là il n’y a pas de sang – Le sang n’est qu’à la naissance, c’est 2 grande règle. Le geste homicide est blanchi, c’est une tragédie, ce n’est pas un drame bourgeois.
Le visage du père n’est pas directement visible où est-il? Par contre celui (le visage ?) de la mort noire nous voit de tous ses yeux.)
Luigi Carluccio, « Jean Ipoustéguy »
Voici un artiste qui nous prend au premier assaut, mais lui-même est difficile à prendre ; car s’il est vrai que nous pouvons saisir immédiatement la grandeur de ses intentions et la force avec laquelle il arrive à dégager une présence formelle de l’absolu, il nous offre peu de références stylistiques capables d’embrasser, comme dans une séquence logique, la continuité de sa démarche.
Dieter Ruckhaberle
L'expérience qui nous meut à la lecture d'Ulysse de Joyce - c'est exactement cela - ou encore celle de l'homme sans qualités de Robert Musil, c'est ce qui nous meut à la rencontre de l'œuvre d'Ipoustéguy. Ce n'est pas l'affaire de tout le monde. Chacun n'a pas été touché au cœur par «la terre» et par «l'homme», présentés à l'occasion de la troisième Documenta à Kassel. L'émotion profonde émanant d'une œuvre d'art qui d'abord se propage dans les ganglions des appréciateurs de l'art, et qui souvent seulement se propage après des années et des décennies, souvent même après la mort de l'artiste seulement quand la haine des pénibles inébranlables s'épuise dans le nil nisi bene - cette émotion profonde est rare. Ecbatane à Berlin sur l'avant-place de Centre International de Congrès, c'est une grande victoire. La découverte de la réalité et sa connaissance ne se font pas sans outils tels que télescope, microscope, béquilles, chaises roulantes, escaliers, angles, portes d'entrée, caves ou...
Walter Lewino, « L’Oeuvre d’Ipoustéguy »
En 1958, Ipoustéguy a rencontré l’homme qui, avec Lesbounit et dans un registre très différent, aura le plus compté dans sa carrière : Claude Bernard, le marchand de la rue des Beaux-Arts. Les marchands sont ce qu’ils sont, il est de bon ton de ricaner sur leurs motivations de dénoncer leurs combines. Claude Bernard, grand bourgeois, dandy mélomane, plus sensible qu’intellectuel, plus joueur que calculateur, sut pressentir le génie d’Ipoustéguy et respecter le cheminement de cet homme au vécu si distant du sien.
Mady Ménier, « Ipoustéguy, Sculpteur français »
Ce n’est qu’à partir de 1949 qu’il se consacre à la sculpture. Adam l’impose au Salon de mai de 1956. La Rose (plâtre, haut. 1m) où une main enserrer le vide, est œuvre prophétique. Elle passa totalement inaperçue. Comme tous les artistes de sa génération, Ipoustéguy subit l’attraction de l’Abstraction et, surtout, celle de Brancusi. Un voyage en Grèce en 1962 est une étape importante. Ipoustéguy donne alors de grandes figures soit seules (Le Torse, 1962; l’Homme, 1963), soit dialoguant avec un site (le Discours sous Mistra, 1964, et le célèbre Alexandre devant Ecbatane, 1965, qu’il fait réaliser en polystyrène expansé puis en fonte de fer).
Théophile Choquet, « Ipoustéguy, l’Appel de la sculpture »
Dans l'atelier d'un sculpteur, peut-être Ipoustéguy.Quand le public entre, on voit déjà le comédien en scène.Il s'échauffe en exécutant des séries de grands mouvements, en respirant très fort. Si je sculpte, c'est parce que c'est la seule activité où je n'ai pas l'impression d'être un lâche.La pierre, le bois ou le plâtre refusent le mensonge.Le geste de sculpter me fait atteindre en moi un état de vérité, de pleine conscience.Conscience totale.Et cet état, état d'esprit et état de corps aussi, est unique.Si on est artiste on doit chercher à tout prix cette extrême sincérité. Ce qui veut dire qu'il faut être prêt à risquerPrendre un risque (mouvement rapide improvisé) Plus qu'un autre art, la sculpture laisse peu de place au hasard, et au doute. Il arrive toujours, tôt ou tard, ce moment où le bloc de marbre, de bois peut se fissurer et éclater si l'on ne prend pas garde. Mais le bon sculpteur est aussi celui qui saura justement tailler la matière jusqu'à l'extrême limite de sa...
Michel Troche, « Ipoustéguy imprenable »
« Dans l’œuvre, ici, aucune prétention de connaissance, de juste analyse… autre que celle de vous avoir vu et de restituer l’inconnu, l’énigme, au sein de votre connaissance ». J’aime cette réflexion d’Ipoustéguy. Elle me paraît bonne, exceptionnellement, envers lui-même, envers son œuvre et envers l’art. Elle n’exclut personne, ni aucun concept, de la tâche à accomplir. Comme un alchimiste, mais de l’ars magna — ou un veilleur de nuit, Ipoustéguy restitue ce qui, perpétuellement, est dérobé; il n’offre pas un trésor insolite ou grandiloquent en provenance d’un ailleurs autre que nous-mêmes. L’instant retenu, l’espace irréversible, la vision quotidienne, la parole de tous les jours, quel est l’accessoire brillant, le truc, le pittoresque qui pourrait tenter de concurrencer misérablement leur incroyable présence? Et où, sinon au sein de notre connaissance, pourrions-nous retrouver l’objet égaré, l’inconnu, l’énigme, l’attraction continue que l’on soustrait à notre désir? « Il n’y a pas de recette pour embellir la nature, il ne s’agit que de voir », déclarait Rodin.
Michaël Lipp, « L’Oeuvre d’Ipoustéguy »
À Lyon, au centre de la place, se dresse, en position d’équilibre, la statue de Louise Labé. La puissance de ses facultés intellectuelles l’élève au-dessus des conditions terrestres. Prise dans des méandres hélicoïdales, semblables à la figura serpentina, elle se dégage du bloc de terre à la faveur d’un mouvement ascendant. L’effet est composé d’un côté ombré et d’un côté éclairé.