Raymond Masson

Jean Ipoustéguy est mort mercredi le 8 février 2006, âgé de 86 ans et, avec lui, tout un pan de l’effort farouchement solitaire qui fut la vie d’un sculpteur. Je l’ai bien connu, et je veux lui rendre hommage. C’est un désir personnel, lui il n’en a pas besoin. Sa carrière était marquée par des années de grande célébrité et il avait reçu le Grand Prix National pour les Arts plastiques.

Moi-même sculpteur, je suis entré en 1963 à la Galerie Claude Bernard, Paris 6ème qui, chose exceptionnelle, était consacrée uniquement à la sculpture et les œuvres sur papier y appartenant. J’ai trouvé sur place trois sculpteurs un peu plus âgés que moi, dans leur mi quarantaine. Deux Français, César et Ipoustéguy, et Roël d’Haese, belge. Ils n’y exposaient que depuis peu, la galerie était toute jeune, cependant ils étaient déjà connus.
J’ai formé avec eux un quatuor. César a quitté la galerie au bout d’une dizaine d’années, Claude Bernard refusant d’exposer ses œuvres en résine. Roël d’Haese, de qualité rare, fabriquant, lui-même son bronze et travaillant aussi l’or et l’argent dans la grande tradition flamande, est mort il y a quelques années, comme, bien sûr, César. Ipoustéguy et moi nous sommes restés ensemble une vingtaine d’années. Maintenant je suis le seul survivant, ce qui me donne une raison supplémentaire à cet écrit.

Les deux vedettes de la Galerie, même quand elle s’est étoffée d’une dizaine d’autres artistes, étaient incontestablement, César et Ipoustéguy. César très vite célèbre était le plus connu du public, mais pour nous à la galerie, Ipoustéguy le taciturne n’était nullement mis à l’ombre par le volubile Marseillais. (Je noterai cependant que pour les artistes, César était un loyal et généreux ami, plusieurs d’entre nous étions présents dans la galerie, grâce à ses recommandations à Claude Bernard). Ah, autre chose, les deux hommes étaient vraiment petits mais avec comme femmes Rosine et Françoise, grandes et belles.

Les sculptures d’Ipoustéguy, à cette époque (1963), était d’amples proportions et quasi géométriques, mais de surfaces nobles avec un arrondi séduisant des arêtes. Formées en plâtre elles étaient traduites en bronze et patinées de couleur noire, ce que j’admirais beaucoup au point de faire patiner également en noir mes deux grands bronzes, de La Foule, au grand désespoir de mon fondeur italien à Rome, et, peu d’années après, de moi-même, parce que mes cents personnages, tués par ce traitement radical, ressemblaient à un ramassis de charbon. Ici je parle de la sculpture qui était la pièce marquante de ma première exposition chez Claude en 1965. Elle marquait aussi par le fait d’apporter pour la première fois à la galerie une œuvre résolument figurative.
À vrai dire, la sculpture d’Ipoustéguy était déjà sortie de sa dernière abstraction par deux figures simples. D’abord celle de la femme (« La Terre ») 1962, puis, l’année suivante, «Homme». Grandes, très droites, debout.

Mais là où je faisais entrer la vie du dehors dans la galerie, ces deux œuvres d’Ipous étaient solitaires. Avec « Homme », on voit une influence de la sculpture grecque archaïque qu’Ipoustéguy, venait de voir à Athènes. De toute manière, il était sa première œuvre à faire sensation. J’étais en compagnie de Marie-Laure de Noailles qui poussait des cris de joie à la voir. (C’était l’époque héroïque de la galerie. Une exposition de César ou Ipoustéguy faisait venir une telle quantité de gens que la police fermait les deux bouts de la rue des Beaux-Arts, créant l’espace pour les contenir en attendant de pouvoir pénétrer dans la galerie dont deux employés empêchaient l’entrée.)

À la base de sa maîtrise du corps humain se trouvait son très grand don de dessinateur. Avec les années, j’ai pu l’apprécier au point de considérer Ipoustéguy un des dessinateurs majeurs de son temps et quand Sam Szafran, collectionneur avisé, m’a montré les dessins de nus d’ Ipoustéguy étudiant, ils révélaient déjà des formes fortement modelées jusqu’au noir, exaltant au maximum la beauté du sujet.

Pendant mes premières années de galerie il n’y avait aucune amorce d’amitié entre moi et Ipoustéguy. J’ai dû attendre ma deuxième exposition avec le spectaculaire haut-relief en couleur, du Départ des fruits et légumes du cœur de Paris pour recevoir ses félicitations, –non pas pour la sculpture, mais pour mon texte dans le catalogue qui l’accompagnait. C’est étonnant, il disait, que ce soit un Anglais à trouver les mots justes pour ce drame si essentiellement parisien. Ses louanges révélaient un aspect important de mon ami (car à partir de ce moment, nous étions amis) Jean Ipoustéguy. Dans le cours de sa vie, il a écrit et publié une dizaine de livres et cette activité l’occupait tout le temps non consacré à la sculpture. J’ai souvent voyagé en train avec Ipous, en route pour des expositions en groupe. Aussitôt, il sortait son porte-plume et se mettait à écrire jusqu’à notre destination.

J’étais à côté de lui un jour du Mai 68 où il taillait sur linoléum des affiches pour les étudiants de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, tout près de la galerie. Grand fut mon étonnement de le voir, attaquer les grandes plaques sans dessin préalable et, en une demi-heure, terminer le travail, le lino, complet avec une légende, prêt à être imprimé. Tout semblait facile pour ce petit bonhomme, expositions de dessin, d’aquarelles et, occasionnellement, de la peinture à l’huile. Des sculptures de tout ordre avec de plus en plus de clients, surtout à l’étranger et particulièrement l’Allemagne où se trouve l’immense « L’homme construit sa ville » de Berlin. Les marbres sculptés sur place à Pietra Santa en Italie étaient limités dans le temps car Ipoustéguy voulait surtout faire des œuvres très grandes traitant des sujets dramatiques souvent tirés de sa vie personnelle et seules possibles à partir du plâtre ou des d’autres matériaux s’y prêtant destinées, bien sûr, au bronze.

Je tire mon chapeau devant une vingtaine d’années de grands travaux. Parce que, chez Ipoustéguy, c’était un travail solitaire. Pas d’assistant, pas d’équipe. À vrai dire, c’est seulement des années plus tard que j’ai pu évaluer tout cela quand j’ai donné un coup de main pour son catalogue raisonné, sur tout ce qui touchait aux expositions et clients anglophones. Toutes ces grandes œuvres, leurs éditions entièrement tirées, vendues et souvent installées dans les musées célèbres.

Bien sûr, sa vie personnelle reflétait son succès à l’époque, et je sais que quand Michel, l’homme à tout faire de la galerie, le véhiculait partout, si c’était au moment de ses sculptures publiques à Lyon, le casse-croûte se faisait pour tous les deux chez Bocuse.

Je pense à un épisode amusant. Nous avions été invité à déjeuner par notre marchand Claude Bernard chez Georges, un restaurant non loin de la galerie, dans la rue Mazarine. Claude reparti à la Galerie, Ipous et moi avons continué à causer et à boire des alcools jusqu’à ce que nous n’avions plus un sou pour en acheter un autre. Hélas, nous étions parfaitement ivres. Une fois dehors, j’ai viré à droite pour monter la rue qui menait directement chez moi. J’ai pu néanmoins, tout juste, me retourner pour voir ce que devenait Ipoustéguy.
Le pauvre ! Il tenait les volets des fenêtres pour pouvoir avancer car il devait retourner à la galerie chercher ses affaires. Une fois chez moi, j’ai sombré dans un sommeil profond.
J’ai eu un mauvais réveil. Je pensais tout de suite à Ipous, obligé de faire face aux gens de la galerie en si mauvais état. Ce n’était pas bien. J’aurais dû l’accompagner. Ma conclusion était encore pire. Très certainement notre amitié était rompue et je n’entendrais plus parler plus jamais un mot de lui. J’étais donc fort surpris de recevoir, une dizaine de jours plus tard, une invitation à dîner chez lui à Choisy-le-Roi.
Ainsi, par un beau soir d’été, j’ai mis pied pour la première fois dans son lieu magique, un petit parc avec enclos fort ombreux avec sa pièce d’eau et, tout autour, des bâtiments d’atelier et maisons d’habitation. On était un petit groupe d’invités et c’était sa femme, Françoise, qui avait préparé le manger. Les grands vins rouges étaient sur la table. Tout ce que j’aime et, pendant le dîner fort gai, je m’en suis servi d’abondance.
Néanmoins, à la fin du repas, j’ai remarqué que Ipous, lui, n’en avait pas bu, et c’est sans doute la dernière chose que j’enregistrais ce soir-là. Il faisait chaud et les vins…
Je devais prendre le train pour rentrer, mais comme j’ai pu le faire, je n’en sais rien. J’ai repris connaissance le lendemain matin sur mon lit. J’étais toujours entièrement habillé, sauf que mon pantalon était déchiré de haut en bas, avec une jambe en sang. Je n’ai rien pu retenir de mon trajet de retour, mais le dîner chez Ipoustéguy m’est revenu clair et net. Et là, j’ai éclaté de rire. Voilà !, il avait eu sa revanche, mieux qu’il n’aurait pu l’imaginer. Mais c’était parfait et notre amitié a repris comme avant, sans le moindre commentaire des deux côtés.

Ayant parlé de l’impressionnant jardin et édifices de Choisy-le-Roi, je noterai le très étonnant fait que, du temps de sa splendeur, Ipous, homme de gauche absolu, hébergeait chez lui, plusieurs familles de gauchistes, hommes, femmes et enfants. Tout le monde restait chez lui à ne rien faire. Les hommes jouaient aux boules, les femmes vaquaient, les enfants couraient. Ipoustéguy, lui, il travaillait. Cela a duré un certain temps.

J’ai mentionné les sculptures publiques pour la place Louis Pradel à Lyon. En fait, quatre sculptures dont la plus importante avait comme sujet « Louise Labé », poétesse lyonnaise, dont les œuvres ont un fort contenu érotique Ne les ayant pas vues, je peux seulement noter qu’elles avaient provoquées l’hostilité des notables et du public. Une réception de non-compréhension qui sera aussi le lot d’une sculpture publique commandée à Ipoustéguy pour Paris en 1984 et que je considère comme un pur chef-d’œuvre. Le sujet était Rimbaud, vu par la citation du Bateau ivre, « l’homme aux semelles de vent », mais transformé par Ipoustéguy en « L’homme aux semelles devant » car l’œuvre, très élancée et haute placée, est nettement coupée en deux, avec les jambes devant et le coude de Rimbaud (tête et torse ensuite) s’appuyant nonchalamment sur les chaussures et les fameuses semelles.
De façon ahurissante le public et la presse ont déduit une ignorance du sculpteur de la citation exacte !
Vingt ans plus tard, un ami m’a raconté il y a dix jours que la veille, en compagnie de plusieurs éditeurs (très familiers avec l’œuvre qui se trouve sur la place Teilhard de Chardin, en face de la bibliothèque de l’Arsenal), tout le monde se gloussait encore de « l’erreur» monumentale du sculpteur, et même du commanditaire, la rue de Valois ! Mais ces censeurs passés et présents ne pouvaient-il pas voir que la tête de Rimbaud est de toute beauté et l’œuvre d’une composition audacieuse et envoûtante ?

Puis, au milieu de la grande carrière d’Ipoustéguy, dopé par son marchand pour lequel il fournissait un travail constant et de grande qualité, est arrivée une histoire insensée qui changera tout.
Nadine, la sœur et collaboratrice de Claude Bernard annonçait qu’elle allait faire publier un livre sur la cuisine, et elle souhaitait que chaque artiste, passé ou présent, de la galerie fasse une illustration en couleur accompagnée par une recette de cuisine personnelle, ou, à défaut, par un récit. Naturellement, en tant qu’Anglais, j’étais dispensé de la recette de cuisine ! J’ai accompagné un dessin par une histoire amusante -et vraie, de Claude Bernard et un petit singe.
Le temps passe et j’ai reçu le livre de bel aspect. Évidemment, j’examinais en premier ma double page et, avec une perplexité grandissante, mon texte quand le téléphone a sonné. Ipoustéguy. « Dis-moi, pote, as-tu reçu le livre de Nadine ?». « À l’instant mon cher ». « Et qu’en penses-tu ? » « Je n’en sais pas trop », j’ai répondu, « mais par moment je ne reconnais pas mon texte ». « Justement » martela Ipoustéguy « mon texte aussi a été remanié (insulte absolue pour le sculpteur-écrivain) et je viens de téléphoner à Nadine pour la prévenir que, si son livre n’était pas retiré aussitôt, je quitterai la galerie ». Nadine s’était mise à larmoyer. « Ne fait pas ça, mon petit Ipous. Claude me tuerait » mais naturellement n’a pas songé un instant à reprendre son livre.
Ainsi l’inimaginable s’est produit. Ipoustéguy, artiste, clé de Claude Bernard, à un moment optimal de sa carrière a quitté la galerie, car ce petit homme avait le caractère d’un géant et une parole de lui était aussi solide et forte que sa propre sculpture.
Nous étions en 1986. Venait d’être installée au n°9 de la galerie une superbe et surprenante exposition d’Ipous, « Les Fruits ». Oui, des fruits et quelques légumes géants en bronze patiné de couleurs différentes. L’aspect de ces choses de la nature était respecté, mais ordonné dans la forte discipline du style Ipousteguy. Remarquables et entièrement vendus à la fin de l’exposition. De quoi donner des regrets accrus à Claude Bernard.

Pendant les vingt années suivantes, Ipoustéguy était loin d’être oublié, exposant à plusieurs reprises dans différentes galeries, mais aucune, naturellement, à la hauteur de celle du remarquable marchand Claude Bernard. Ces années étaient celle où notre amitié s’est renforcée pour devenir très exclusive et, pendant les moments qu’on passait ensemble, la conversation tournait souvent à notre vie ensemble à la galerie et c’est ce qu’aimait Ipous. Invariablement, pour parler de son ancien marchand, il utilisait le mot « patron ». J’avais entendu qu’il y avait un autre motif que le livre de Nadine pour expliquer son départ mais maintenant j’étais sûr que, même si Ipous s’était vu obligé de le faire, il le regrettait.
Des gens au courant de la rupture entre les deux hommes ont été nombreux à penser qu’il fallait peu de choses pour les réunir de nouveau. Bien que n’étant plus moi-même un membre de la galerie depuis 1983, je voyais de temps à autre Claude et, plus d’une fois, j’ai touché au sujet. « Oui, oui », disait Claude, roulant les yeux au plafond. « Oui, oui », disait Ipoustéguy devant mes mêmes insistances. Peu de choses, en effet. L’arrivée non annoncée de Claude Bernard devant la grille de ce cher Ipous. Une petite halte, en passant par là, de celui-ci à la galerie. C’est-à-dire la chose toute simple que les deux hommes, Claude, par son introspection naturelle, et Ipous, fidèle à l’esprit de décision qui avait formé toute son œuvre, étaient incapables d’entreprendre.

Pendant tout ce temps, Ipoustéguy travaillait constamment, produisait une grande quantité de sculptures, mais de taille plus modeste. Tout était mise en bronze et beaucoup ont traversé l’Atlantique pour des expositions de prestige. Les clients allemands étaient toujours fidèles et même anglais, comme en témoigne la rétrospective en plein air à Londres, en 1999. Ipoustéguy devenait néanmoins toujours plus farouche dans ses rapports avec les gens et j’étais flatté qu’il faisait une exception pour moi.
On a fait une première balade avec ma voiture pour discuter avec la directrice du Musée de Cambrai de nos envois pour son ambitieuse exposition de sculpture figurative. Celle-ci et la ville nous ont enchanté et revenant tard à Paris nous avons mangé succinctement dans le restaurant chinois près de chez lui, ignorant que ma femme, Janine, nous attendait avec un bon pot-au-feu. À partir de ce moment ma voiture, dont j’ai si peu l’utilité, allait me servir justement pour voir mon ami casanier et, dans la belle saison, on quittait Choisy dans cette Saab décapotable pour aller à la campagne à la recherche d’un bon restaurant, de préférence au bord d’un fleuve

Une de nos premières journées nous avait amené au séduisant village de Moret-sur-Loing et naturellement, après déjeuner, nous avons traversé le village pour rendre hommage à la maison d’Alfred Sisley. Retournant à la voiture Ipous a dû s’arrêter deux fois, me disant avoir mal aux jambes. « C’est nouveau », je commentais. « Oui, c’est nouveau » acquiesa Ipoustéguy. Nouveau, mais malheureusement destiné à s’aggraver jusqu’à la fin. Plusieurs fois nous sommes allés moins loin pour manger sur une péniche restaurant de qualité sur la Seine, à Melun. La dernière fois j’ai pris des photos de lui et, à sa descente de bateau, ce qui n’est pas mon habitude. Et ainsi de retour chez lui, profitant du moment où il préparait les boissons, pour prendre la vue de son parc prodigieux et le beau bronze de femme sortant avec éclat de la verdure.
Effectivement, c’était la dernière fois parce que peu de temps après j’ai appris la nouvelle renversante que Ipoustéguy, sans informer qui que ce soit, mais de concert avec sa femme, avait quitté Choisy-le-Roi pour retourner à sa ville natale de Dun sur Meuse, près de Verdun, ! Il avait fallu dix-sept camions pour faire le transport !
J’étais toujours sur le choc quand un beau jour j’ai vu Ipous dans ma cour, obligé de venir à Paris pour voir des médecins et en profitant pour venir m’expliquer les raisons de son départ. Janine est descendue pour le saluer et pendant une heure, nous l’avons écouté nous convaincant minute par minute du bien-fondé de la chose. Une nouvelle maison trouvée par sa femme, le cinéma local qu’on allait transformer en musée Ipoustéguy, le retour aux paysages d’origine. (La boucle bouclée pour cet homme de dessin ordonné). Quand il est parti, Janine et moi, nous avons opiné de la tête. « Il est drôlement organisé », nous nous sommes dit.

Comme adieu à Paris, Ipoustéguy avait laissé derrière lui la plus étonnante exposition. Soixante aquarelles de la vie de Jésus-Christ ornant les piliers de l’importante église centrale de Saint-Roch. Et, avant toute chose, cette question. Comment Ipoustéguy homme de gauche subliminal… ? Depuis longtemps, j’entretiens l’idée que les gens deviennent croyants face à la mort pour s’assurer une place dans le monde futur. Avec son âge et sa santé s’empirant, Ipous pouvait avoir le même motif, mais de l’avoir connu pendant quarante ans rendait cette idée extrêmement problématique. Or, l’exposition que je viens de décrire comme étonnante l’était amplement par la qualité des oeuvres exposées. Des grandes aquarelles éblouissantes de couleur et de technique. Un art contemporain, oh combien, mais bien au-delà, car tracé par une main de si grands talent et, plus étonnant encore, narrant parfaitement les épisodes de la vie de Jésus sous le titre, « L’Illustre Passion ».

Très touché par la visite d’Ipous, j’avais promis d’aller le voir à Dun sur Meuse. C’était fermement mon intention, et le projet a pris forme de faire ce voyage avec Miriam, autrefois une employée-clé de la galerie et une intime d’ Ipoustéguy, ayant vécu de longues années dans la proximité de chez lui. Elle proposait même de m’y amener dans sa voiture, étant déjà allé le voir. Tout était donc décidé pour une semaine de l’été 2005 et il Ipous aller nous héberger deux ou trois jours. Or la semaine choisie avait tourné à la pluie et c’est Miriam qui s’est chargée d’annoncer l’annulation à Ipous avec, bien sûr, la ferme promesse de revenir à une date ultérieure. Sans surprise, j’ai appris qu’il était drôlement mécontent, disant qu’il faisait beau chez lui.

L’année 2005, s’était terminée par un froid inattendu dès novembre qui se perpétue jusqu’au moment où j’écris ces lignes, début mars 2006. Or au milieu du mois de janvier Ipoustéguy m’appelle. « Quand est-ce que tu viens ? ». « Ipous, que je vais venir et sûr mais pas maintenant, il fait froid polaire à Paris et il doit faire bien pire chez toi. »
Il a dû admettre qu’il ne faisait pas bien beau en Lorraine et une phrase est montée en moi, sans vraie intention de ma part, mais je l’ai dit. « D’ailleurs je t’en veux à mort ! ». Complètement saisi et d’une voix presque tremblante « Comment, comment cela ? ». « Parce que, quand tu étais à Choisy, je t’avais sous la main. » Et là il a répété comme dans un songe, « Oui tu m’avais sous la main. » Salutations affectueuses de ma part et il a raccroché.

Quinze jours plus tard Ipoustéguy est mort dans sa cuisine à cinq heures du matin, devant le café qu’il venait de se servir et c’est ainsi que Françoise l’a trouvé.
Mon regret de ne pas avoir effectué ce voyage pour saluer mon cher ami, que je considérais comme le plus grand sculpteur vivant est immense et le pathos de notre ultime échange demeurera en moi.
La dernière image dans son catalogue raisonné et de nous deux, et sa dédicace « Au grand sculpteur Raymond Masson » restera pour moi son permanent mot d’amitié.

Raymond Masson
Artiste et ami
Lettre à Françoise Robert suite au décès d’Ipoustéguy
Mars 2006
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